Gagnoa – Un espace dégagé d’environ deux hectares, dans une sorte de cuvette, dans la localité de Dignago, à 42 km de Gagnoa, sur l’axe Gagnoa-Daloa, le sol peint par la poussière noire des morceaux de charbon et au milieu de la fumée qui décrit des arabesques vers le ciel, une dizaine de femmes s’activent devant des talus à remplir des sacs de « carbone noir » prêts à être acheminés vers des destinations urbaines pour l’emploi.
Debout pour certaines, accroupies pour d’autres, ces femmes rurales, pour obtenir leur autonomie financière, fabriquent ce combustible obtenu par pyrolyse de bois dans des fours artisanaux à ciel ouvert.
Prise de contact avec les femmes
Vêtue d’un polo manche longue sombre et d’un pantalon dont la couleur a été modifiée par le noir du charbon, dame Diarrassouba Maïmouna, mère de deux enfants, qui n’a pas voulu révéler son âge réel, explique, dans un français très compréhensif, sa journée de travail. Une petite daba à l’épaule lui sert à rassembler la motte de terre autour du four fait de troncs d’arbres et de terre jetée par-dessus.
« Je ne faisais rien avant. Ma grande sœur m’a dit : viens, je vais te montrer un boulot et je suis venue », affirme-t-elle, ajoutant qu’elle avait des appréhensions sur ce travail surtout qu’il se racontait que la fabrication du charbon de bois provoque des infections pulmonaires qui tuent à petit feu à cause de la poussière noire du combustible.
Cependant, confesse-t-elle, « c’est parce que je suis en quête d’argent que je me suis retrouvée dans ce travail ».
Concentrée sur ses tâches à accomplir, sans lever la tête, Maïmouna donne des instructions à un jeune homme. « Complète le lot avec deux autres morceaux de bois », lui lance-t-elle, en allusion aux grosses bûches découpées et destinées à produire du charbon à la consumation.
« J’ai commencé depuis deux ans, mais cela fait six mois que je suis installée à mon propre compte, » déclare la jeune dame.
Les autres consoeurs de différents âges, les visages et les pieds noircis par la fumée et la poussière du charbon de bois sont également à l’œuvre sous ce soleil ardent. « Nous travaillons sur le même site, mais chacune à son tas. Chacune coupe son bois, chacune fait son charbon et le vend. Je possède actuellement deux tas ou four si vous voulez », explique dame Diarrassouba.
Dans la pratique, chaque fabricante loue les services d’un scieur, au prix de 5 000 FCFA, pour lui fournir des rebuts de bois, constitués, selon leurs dires, de tecks ou d’hévéas brisés à la suite de tornades ou achetés aux propriétaires.
Selon un agent des eaux et forêts qui a requis l’anonymat, ces scieurs qualifiés de « clandestins » sont traqués chaque jour dans le chef-lieu de sous-préfecture, parce que participant à la déforestation du fait de la destruction des arbres pour produire du charbon de bois.
« C’est peut-être vrai, mais on ne trouve plus de tecks et les bonnes essences sont devenues rares chez nous ici », reconnait Adjaratou Tiémé, la quarantaine, une autre fabricante de charbon interrompue par les vrombissements du moteur tricycle chargé de troncs d’arbres.
De la livraison du bois à la production du charbon
« Quand les scieurs coupent le bois, nous payons 5000 F CFA le chargement du moto-taxi. C’est d’ailleurs l’un d’eux qui vient d’arriver », affirme-t-elle, précisant que trois chargements de tricycle sont nécessaires pour confectionner un four de près de quatre mètres de diamètre.
« Mon petit, viens décharger ! », lance dame Tiémé à un jeune homme d’une vingtaine d’années. Un à un, les douze billots contenus dans l’engin ont été transférés vers le site pour suivre le processus de pyrolyse. Pour chaque déchargement d’un tricycle et la préparation du bûcher, il perçoit 500 FCFA.
Afin de mieux faire comprendre le travail, Adjaratou Tiémé décide de procéder à une démonstration. Elle rassemble un lot de petits brindilles et d’herbes sèches, et les dispose entre les rondins entreposés avant de recouvrir le tout de la terre et mettre le feu. Au bout d’une demi-heure, les premières flammes apparaissent. Après une attente de trois heures qui semble interminable, les rondins ont pris feu et la fabricante de charbon commence à couvrir l’entièreté du four de sable ou de terre. De l’autre côté du four, elle perce une autre ouverture. « C’est pour laisser entrer l’air qui va faciliter la combustion, mais aussi, pour permettre à la fumée de s’échapper », laisse entendre Adjaratou.
« Cinq jours sont nécessaires pour obtenir du charbon si le bois est bien sec et sept jours lorsque ce bois est quelque peu humide, », fait savoir la dame en prenant rendez-vous au bout d’une semaine au journaliste de l’AIP.
Comme promis, sept jours plus tard, le talus (four) a changé de forme en s’affaissant. « Le charbon est prêt », lâche la fabricante qui se met, aussitôt, à retirer minutieusement le sable à l’aide de sa daba. À ce stade, la prudence est de mise, étant donné que le charbon est encore chaud, même si le feu semble éteint. À grands seaux d’eau puisée dans une barrique, la dame arrose le talus fumant afin d’éteindre d’éventuelles braises. « Attendons encore trente minutes. Nous allons pouvoir ramasser le charbon et préparer les sacs, » rassure-t-elle, avant de préciser que chaque four produit six à sept sacs de charbon.
Visiblement très satisfaite, dame Adjaratou Tiémé déclare : « Heureusement, nous sommes venus à temps. Sinon, si le sable s’affaisse en début de soirée et que tu ne viennes que le lendemain matin, le charbon a le temps de se consumer et de s’effriter. Non seulement tu obtiens de petits morceaux de charbon que les clients n’aiment pas, mais en plus, tu ne produis que quatre sacs. »
Jusqu’à à la mi-journée, sous le soleil brûlant, la fabricante réussit à remplir sept sacs de charbon de bois qu’elle espère écouler sur le marché au prix de 3500 FCFA le sac.
Une vente qui permet l’autonomisation des femmes
« Si tu arrives à vendre tous les sacs dans la même semaine. Ce qui n’est pas toujours évident, tu peux gagner de l’argent », fait noter Maïmouna Diarrassouba.
Au vu des différentes charges de production, dont la location mensuelle du site à 2 000 F CFA/personne, la fourniture en bidons d’eau et les frais de gardiennage, le bénéfice « est bon à prendre », déclare l’artisane qui indique que parfois, les femmes arrivent à écouler la production de la semaine.
Toutefois, la production de la semaine vient s’ajouter aux invendus de la semaine précédente. Au décompte final de toutes les charges, dame Diarrassouba révèle qu’à chaque production de charbon d’un seul four artisanal, son bénéfice s’avoisine les 7 500 FCFA.
Dame Tiémé explique, pour sa part, qu’elle est à mesure de produire du charbon trois fois dans le mois si elle a la chance d’avoir du bois sec qui se consume bien et évalue son gain minimal mensuel à environ 40 000 FCFA.
Une dame assise à même le sol de l’autre côté du site, Lisata Kaboré, la trentaine, affirme exercer cette tâche en famille depuis 2013. « C’est trop difficile. Tu cours le risque de tomber malade si tu l’exerces seule », insiste-t-elle, en pointant du doigt une jeune fille de 19 ans, déscolarisée, présentée comme sa fille, qui s’assure que les morceaux de bois sont bien disposés et rassemble les branchages pour deux des quatre fours de sa maman.
Toutes les femmes exercent les mêmes tâches sur le même site, sauf que d’autres se répartissent le travail, afin de le rendre moins pénible, à l’exemple de dame Lisata Kaboré aidée dans sa tâche par deux autres femmes.
« J’arrive de la sorte à produire jusqu’à 16 sacs de charbon tous les quatre jours », affirme-t-elle en expliquant que cette méthode lui permet d’engranger plus 65 000 FCFA comme chiffre d’affaires hebdomadaire, pour un bénéfice net de 130 000 à 140 000 F CFA le mois. « Avec ça, je me prends en charge, même si j’avoue que ce travail est harassant », fait noter Lisata Kaboré.
« C’est bon à prendre, même si cela s’obtient malheureusement au détriment de la déforestation alors que les briquettes combustibles à base du cortex de cabosse de cacao pourraient être une solution de substitution », estime-t-elle.
Selon le directeur général de l’ANADER, Dr Sidiki Cissé, si la Côte d’Ivoire arrive, avec une multiplication des incubateurs, à transformer ces cortex de cabosses en briquettes, elle aura réglé en partie le problème de l’exploitation du bois dans la forêt, principale source d’alimentation de chauffe pour les aliments dans les ménages. Il a affirmé qu’avec la rareté du bois et les effets du changement climatique sur l’environnement, il est plus que nécessaire de réfléchir autrement et cette « mine de cabosses que nous allons encore produire pendant des années servira à alléger la tâche des autorités dans la lutte contre la déforestation et la pauvreté », laisse-t-il entendre.
Encadré : Le service des Eaux et Forêts lève toute équivoque sur les soi-disant clandestins et la toxicité pour le braisé.
D’emblée, le chef de cantonnement des Eaux et Forêts de Gagnoa, le commandant Estève Eustache, assure que la production du charbon de bois est assujettie à un permis d’exploitation. Le matériel utilisé est les abattis de l’exploitation, c’est-à-dire les branchages et les rebuts laissés par l’exploitant sur le terrain, ainsi que les résidus des scieries.
En fait, avant de produire ce charbon, il faut une autorisation délivrée par le ministère des Eaux et Forêts. Seulement, dit-il, dans le département de Gagnoa, le charbon est produit essentiellement à partir des bois d’hévéa. Ici, c’est généralement des coupes de plantations en fin de cycle, mais aussi des chutes de bois lors de grands vents qui sont utilisées. Les propriétaires des plantations appellent des scieurs pour rendre ces bois en morceaux. Ils les donnent aux femmes moyennant une somme, afin de produire du charbon.
Notons qu’effectivement, le charbon produit à partir du bois de l’hévéa est toxique pour les braisés, a affirmé l’officier supérieur des eaux et forêts. « C’est bon pour faire la cuisson, mais pour les braisés, c’est toxique parce qu’il contient des substances chimiques toxiques dans le caoutchouc. La population l’ignore et l’utilise souvent pour les braisés dans les maquis », déplore-t-il, avant de rassurer les populations que les services des Eaux et Forêts ont initié une campagne de sensibilisation par rapport à cela. En fait, note le commandant Estève, le charbon doit être obtenu à partir du bois d’énergie, tel que l’Acacia, qui ne produit pas de toxicité.
Quant aux scieurs qui opèrent dans ce secteur, l’officier soutient qu’ils ne sont pas en fait des clandestins, vu que, pour la plupart, ils détiennent des permis d’exploitation de charbon.
Cependant, certaines personnes produisent le charbon sans respect de la réglementation (absence de document, non utilisation de la matière requise pour la production, mauvaise manière de carbonisation). Ces personnes clandestines détruisent la forêt. A celles-là, « nous recommandons de se conformer à la réglementation, sinon elles nous auront sur leur chemin », prévient-il.