Propos recueillis par Yosra BOUGARBA.

Dans une interview accordée à la MAP, la présidente du réseau International des Femmes Dirigeantes “Wimen” (Women International Management & Executive Network”, Laila El Andaloussi, revient sur l’étude de l’Observatoire Marocain de la TPME (OMTPME) sur l’entrepreneuriat féminin, les facteurs de blocage et les moyens d’encourager les initiatives féminines en matière d’entrepreneuriat.

1- Quelle est votre lecture des résultats et des chiffres de l’étude réalisée par l’OMTPME sur l’entrepreneuriat féminin, incluse dans son rapport d’activité des exercices 2020-2021 ?

D’abord, je voudrais saluer l’étude réalisée par l’OMTPME autour de l’entrepreneuriat féminin que je trouve en effet inédite dans la mesure où elle a porté sur la quasi-exhaustivité des entreprises existantes.

Celles concernées s’élèvent à 567.000 environ, personnes physiques et morales confondues, en plus d’une population de femmes auto-entrepreneures qui avoisine presque les 50.000. L’étude porte sur la période 2021 et nous apporte un éclairage intéressant sur la dynamique des entreprises “féminines”.

Ce qui est intéressant également c’est de constater que cette étude ne concerne pas le secteur informel où la population féminine est quasiment très représentative. L’enquête a révélé que 16,2% des entreprises actives au Maroc étaient dirigées par des femmes. Ce taux est beaucoup plus élevé, et on s’en réjouit, que celui révélé jusque-là par les principales études effectuées notamment celle du Haut Commissariat au plan. D’après l’enquête nationale de 2019, la proportion des entreprises dirigées par des femmes n’était que 12,8%.

Mais l’étude de l’Observatoire a retenu comme critère d'”entreprises féminines” celui d’exercice d’une fonction d’exécutif. En effet, la fonction de dirigeante peut renvoyer à une réalité multiple et large. Une femme peut diriger en étant investie d’un mandat social en tant que gérante, administratrice, ou alors à l’issue d’une carrière professionnelle, briguer un poste de salariée.

Cette définition exclut d’office par contre les entreprises dont le capital est détenu par les femmes, alors qu’elles peuvent être parfaitement initiatrices de l’idée, du projet ou du business et en étant majoritaires être entièrement impliquées dans l’entrepreneuriat.

Si on s’intéresse à la taille des entreprises, l’étude conclut qu’en 2019, 15,4% de micro-entreprises sont dirigées par des femmes, contre 13,1% pour les grandes entreprises. Il ne semble donc pas y avoir une différence importante entre les représentativités des entreprises féminines dans les toutes petites structures et dans les grandes organisations alors que nous avons tendance à croire qu’il y a un vrai gap à ce sujet. Nous n’avons pas vraiment de data jusque-là sur les femmes dirigeantes dans les grandes entreprises si ce n’est dans les entreprises cotées, via l’Autorité marocaine du marché des capitaux qui s’intéresse à la gouvernance équilibrée dans ces entités et révèle que 18% des administrateurs femmes siègent au sein des sociétés cotées.

Il est important de délimiter les frontières des micro et grandes entreprises dans l’étude.

Quant à la micro-entreprise, je rappelle que cette réalité très prépondérante n’est pas légalement définie. Le chiffre d’affaires limite usuellement admis est de 1 million de dirhams. En général, les femmes sont très présentes au niveau des entreprises individuelles et quasiment en majorité par rapport à la gent masculine.

S’agissant de la catégorisation des entreprises selon leur dimension, plusieurs approches existent au Maroc, celle qui émane de la charte de la PME de 2002, celle introduite par Maroc PME, ou par la Confédération Marocaine des TPE-PME, qui s’intéresse à la toute petite entreprise.

Il serait intéressant que nous puissions nous mettre d’accord sur une approche commune, qui sera utilisée par toutes les enquêtes nationales, et qui viendront consolider les différentes études, les comparer dans le temps et les enrichir afin de servir de base à des véritables stratégies de développement de notre tissu entrepreneurial.

D’après l’observatoire de la TPME, les régions du Sud, notamment les régions de Dakhla-Oued Eddahab et Laâyoune-Sakia El Hamra recensent des parts relativement importantes des entreprises dirigées par des femmes avec plus de 26% contre 16,9% pour Casablanca-Settat et Marrakech-Safi.

Cela démontre et confirme la dynamique exceptionnelle de développement engagée dans ces provinces ces dernières années. Elles jouissent de plus en plus d’attractivité de la part des investisseurs et mettent au centre de leur programme l’autonomisation par l’entrepreneuriat, des femmes de la région. D’ailleurs le Centre régional d’investissement de la région de Dakhla-Oued Eddahab a fait un travail remarquable à ce niveau en partenariat avec d’autres institutions dont l’ordre des Experts Comptables du Maroc, pour renforcer le développement durable en impliquant davantage les femmes.

Au niveau sectoriel, il ressort que les sections de la “Santé humaine et action sociale” (Activité des médecins généralistes, Pratique dentaire, etc.), des “Autres activités de services” (Coiffure et soins de beauté, Blanchisserie-teinturerie, etc.) et de l’”Enseignement” enregistrent les parts les plus importantes de l’entrepreneuriat féminin soit environ 40%, 32% et 30% respectivement.

Certes la coiffure, les soins de beauté et la blanchisserie sont des activités indéniablement importantes, toutefois elles ne drainent pas beaucoup de valeur ajoutée et de création d’emploi.

Les femmes s’orientent aussi en majorité vers les professions libérales et notamment la médecine et les professions de santé, ainsi que l’enseignement, d’après l’enquête. On pourrait le comprendre d’abord par la souplesse dans la gestion du temps de travail que ces métiers permettent par rapport à une activité de salariée.

Aussi il est temps d’enclencher de véritables stratégies et dynamiques pour renforcer la présence des femmes dans d’autres secteurs clés, tels que l’industrie, les nouvelles technologies, les métiers d’ingénierie.

2- Quels sont, d’après vous, les facteurs de blocage qui persistent toujours chez les femmes pour devenir entrepreneures?

Je trouve au contraire que les femmes prennent beaucoup d’initiatives dans l’entrepreneuriat, mais restent invisibles car un grand nombre d’entre elles s’activent dans l’informel. Certes ce n’est pas structuré, comptabilisé, valorisé, et accompagné et le challenge est de pouvoir faire émerger toutes ces énergies et les appuyer de façon à ce que les projets puissent grandir et se développer.

Dans le rural, le frein majeur est le manque de qualification et d’instruction des femmes qui ne leur confère pas une véritable culture d’entrepreneuriat. Mais ailleurs l’écart en termes d’éducation tend à s’estomper.

Enfin je pense que persiste également l’ancrage culturel selon lequel diriger son entreprise, peut entrer en compétition avec le fait de diriger son foyer, sa famille, alors que ce sont des alliés complémentaires et légitimes. `

3- Au-delà de l’accès au financement, que manque-t-il encore pour que les femmes se lancent dans l’entrepreneuriat ?

L’accès au financement ne me semble pas être une problématique spécifiquement féminine, c’est la taille des projets, l’idée, le business plan et l’étude de faisabilité qui prime et non le genre.

Se lancer dans l’entrepreneuriat nécessite de travailler d’abord sur sa confiance en soi, croire en soi, être en mesure d’accepter les échecs, et d’aller au-devant des difficultés. Cela s’applique autant aux hommes qu’aux femmes.

Sauf que pour la femme, au nom d’obligations familiales qui pèsent toujours aujourd’hui sur elle en particulier, ce droit lui est confisqué parfois, alors que cela demande forcément un encouragement de la famille proche et un soutien du conjoint, qui changera certes la donne et pourrait faire émerger en elle, la flamme d’entrepreneur qui l’anime.

D’un autre côté, pour encourager l’entrepreneuriat féminin il est important de développer certaines infrastructures et services de base, telles que des structures de gardes d’enfants, ou des transports publics sécurisés.