Sinématiali, 15 avr 2023 (AIP)- Parmi les activités génératrices de revenus exercées par les femmes du département de Sinématiali, figure en bonne place le commerce du “tchapalo”, une boisson locale de fabrication artisanale à base de mil, du maïs, du sorgho et même de riz.Devant la pénibilité du travail, les productrices locales appellent à la mécanisation de l’activité. Reportage.

Le tchapalo de maïs est le plus commercialisé en raison de l’accessibilité de la matière première. Depuis des lustres, cette activité est l’apanage des femmes qui reconnaissent travailler encore dans la précarité, avec à chaque étape de sa fabrication, une débauche d’énergie et un temps énorme à y consacrer.

Pour ce faire, l’activité n’est pas à la portée de tout le monde à tel point que le passage de témoin se fait par lignée. Soro Tchergniman, une jeune vendeuse de tchapalo au marché de Sinématiali, fait partie de ces héritières.

” C’est de cette manière que nous avons hérité cette activité de nos mères. Et nos mères aussi l’ont héritée de cette façon de leurs mères, ainsi de suite. Les conditions difficiles de fabrication du tchapalo n’ont pas changé ”, explique Mme Soro.

Si la préparation de cette boisson alcoolisée, très appréciée, continue de se faire sur du feu de bois, parfois à feu de brasier, avec une fumée nocive et une chaleur intenable, c’est parce que, “c’est de cette manière que s’obtient le bon tchapalo de maïs”, affirme une vendeuse de cette boisson au quartier marché, Coulibaly Ana.

” On ne devient pas vendeuse de tchapalo du jour au lendemain. On le devient, que parce qu’ on a été parente d’une vendeuse ou qu’on ait appris minutieusement cette activité, auprès de quelqu’un acceptant son lot de souffrance et de fatigue. Le travail de tchapalo n’est pas une partie de plaisir. Moi-même qui vous parle, j’ai appris ce travail auprès de ma mère et je l’ai transmis à ma fille, qui à son tour pourra le transmettre à sa fille”, nous a fait savoir Soro Nathalie, connue sous l’appellation de Mme Joachim, ancienne vendeuse de tchapalo et mère de Coulibaly Ana.

”Si une femme pense pouvoir préparer du tchapalo sur le feu de charbon ou sur du feu de gaz, ce tchapalo n’aura pas le même goût que celui fait sur du feu de bois ”, témoigne Yeo Nouthè, vendeuse à Lawerekaha, un village situé à deux kilomètres de Sinématiali.

Du tchapalo prêt à être consommé servi dans une petite calebasse

Le travail de tchapalo nécessite en tout et pour tout une semaine de préparation, pour seulement un jour de vente. Et la vendeuse, qui voudrait s’offrir le luxe précaire de faire ce commerce tous les jours de la semaine pour fidéliser sa clientèle, aggravera son état de santé, du fait de la fatigue déjà accumulée, fait savoir Soro Kafolo, ancienne vendeuse domiciliée au quartier Château-Extension.

” Une seule femme ne peut pas vendre le tchapalo pendant une semaine de manière continue. Car ce travail est très fatigant. Et si par miracle, elle y parvenait, cela voudrait dire qu’elle va tout abandonner pour se consacrer uniquement à son activité, oubliant de ses tâches ménagères. Or cela n’est pas possible, La femme Sénoufo doit avoir du temps pour ses enfants et pour son mari”, ajoute Soro Kafolo.

Ayant pris conscience de cet état de fait, les femmes de Pelakaha, un village devenu par l’effet d’urbanisation un quartier de Sinématiali, ont décidé de vendre le tchapalo tous les jours de la semaine, chacune d’elles ayant un à deux jours de vente dans la semaine. Au nombre de cinq, elles se relaient le service pour maintenir la clientèle et avoir du temps pour vaquer à d’autres occupations. Mais ce travail ne leur accorde pas le temps de repos souhaité.

”Malgré nos ventes à tour de rôle, ce travail de tchapalo ne serait-ce que pratiqué pour un seul jour de vente, vous cloue près d’un mois de fatigue”, a fait savoir la doyenne des vendeuses de Pelakaha, Coulibaly Françoise.

” A Pelakaha, à Lawerekaha et dans bien d’autres villages du département, les femmes ont décidé de vendre le tchapalo à tour de rôle. Mais malgré cette astuce commerciale, le temps de repos est insuffisant. Ce travail est trop fatigant ”, a-t-elle poursuivi.

Des marmites de tchapalo dans un foyer ouvert, chez Coulibaly Ana, vendeuse de tchapalo

Selon les vendeuses rencontrées, dont Coulibaly Françoise, la fabrication du tchapalo obéit à des étapes. Il faut d’abord verser le maïs dans une petite barrique ou gros récipient contenant de l’eau, de façon à le faire immerger pour être lavé deux fois par jour, pendant trois jours.

Après cette première étape, le maïs lavé, à plusieurs reprises, sera exposé sur une terrasse propre et légèrement recouverte d’un tissu jusqu’à la germination de tous les grains de maïs. Cette étape dure aussi trois jours. La troisième étape consistera à piler tout le maïs en germination dans un mortier.

” Je vous assure que cette étape est très fatigante pour la vendeuse”, affirme Coulibaly Françoise.

Après avoir pilé le maïs, vient le moment du séchage. Au cours de cette étape, il faut une vigilance accrue pour ne pas permettre aux animaux d’avoir accès au maïs et de le manger. Le maïs semi-pilé et bien séché sera conduit au moulin pour être bien broyé avant de passer à la préparation proprement dite du tchapalo.

La préparation du tchapalo sur le fagot de bois dure deux jours. Il faut pour le premier jour, mettre le maïs pilé dans un grand récipient rempli d’eau et recueillir le jus en surface pour le transvaser dans une grosse marmite. Cet exercice sera repris plusieurs fois, jusqu’à ce que le dépôt de maïs soit aussi transvasé dans la marmite, après filtrage.

Le deuxième jour, le dépôt de maïs mélangé au jus en surface recueilli à plusieurs reprises, sera mis dans une grosse marmite pour passer huit à dix heures de temps sur un foyer à un feu de forte chaleur. Après avoir longtemps bouilli, on y ajoute du piment de quantité appropriée et de la levure pour assurer sa fermentation. Le tchapalo, le vrai ”chap” est donc prêt à être consommé.

Yeo Miyognan, consommateur de tchapalo, fidèle client de Yéo Nouthè.

Au-delà de son aspect de boisson frelatée, les consommateurs lui attribuent des vertus thérapeutiques.

”Le tchapalo, en plus d’être une boisson alcoolisée, est avant tout, un médicament. Si tu as de la constipation, le paludisme, des maux de tête et un problème de fatigue générale, le tchapalo soigne tout ça”, soutient Yéo Miyognan, consommateur du village de Dézinyakaha, non loin du village de Nadjopi, à près de cinq kilomètres de Sinématiali.

Ce travail, pas à la portée de toutes les femmes, a poussé certaines comme Mmes Kafolo et Soro Tchègbè à abandonner ce commerce, évoquant plusieurs raisons, entre autres, la cherté du maïs, du fagot de bois, le problème de chaleur, de fumée suffocante, et surtout le problème lié à la conservation de cette boisson.

” Si tu as vendu ta boisson aujourd’hui et que c’est pas fini, le lendemain le goût ne sera pas le même. Il faudra tout verser pour éviter une indigestion à ta clientèle ”, a signifié Soro Tchègbè, sur un air de regret.

Selon le chef de service des actions sanitaires du district de Sinématiali, Dr Tah Bi Tah Simon, les feux de bois ont des conséquences négatives sur la santé, à cause de la fumée que ces feux génèrent. En effet, poursuit-il, la fumée générée par le feu de bois, comme c’est le cas chez les vendeuses de tchapalo, contient de nombreux gaz polluants et plus de 7 000 substances cancérigènes et suffocantes. Ce qui signifie que la personne en contact avec cette fumée de bois a du mal à respirer.

Une cuisine fermée où se prépare le Chapalo à Pelakaha, un quartier de Sinematiali

” Dans cette fumée, il y a des particules invisibles à l’œil nu, qui sont faciles à être inspirées, causant donc une variété de problèmes respiratoires, tels que l’irritation des yeux, de la gorge, des poumons et à long terme, cela peut provoquer des malades plus graves comme les crises cardiaques et l’accident vasculaire cérébral (AVC)”, a expliqué M. Tah Bi.

Face aux dangers liés à la pénibilité du travail des productrices du tchapalo, le maire de Sinématiali, Coulibaly Nandoh, à l’occasion de la réunion préparatoire de la journée internationale des droits de la femme (JIF), vendredi 03 mars 2023, à la préfecture, plaidait, auprès du directeur régional du ministère de la Femme et l’ Enfant du Poro, pour l’amélioration des conditions de travail de ces braves femmes.

” Ces femmes, qui travaillent dans la production de cette boisson le font de manière traditionnelle, et on ne sent pas une nette amélioration de leurs revenus comme cela se voit chez les productrices de beurre de karité ”, a révélé M. Coulibaly.

Il a aussi souligné que si ces femmes du domaine tchapalo bénéficient du soutien du ministère de tutelle, en termes de modernisation de leur méthode de travail, elles pourront, non seulement améliorer le processus de fabrication, réduire de manière drastique sa pénibilité, mais aussi accroître leur rendement.

Coulibaly Françoise à gauche et Soro Nounafo à droite, deux vendeuses de tchapalo à Pelakaha

A Soro Kafolo va plus loin, en sollicitant l’aide de l’Etat pour la transformation du tchapalo, en un produit de consommation moderne, qui sera vendu dans les grandes surfaces pour permettre aux femmes de travailler moins et de gagner plus.

” Il faut que l’Etat ivoirien pense à nous venir en aide, en assurant la transformation du tchapalo en une boisson de qualité supérieure comme la bière. Comme cela, nous gagnerons plus en tant que productrices du produit à l’état brut”, a-t-elle fait remarquer.

Dans le département de Sinematiali, près d’une centaine de femmes exercent dans la production du chapalo, sans qu’elles ne soient en association, ni en coopérative, apprend-on.

Un des obstacles sur le chemin pour porter leurs préoccupations aux décideurs.