NWL Focus

Le portrait de trois femmes subsahariennes aux destins qui s’entrecroisent à Bab el Had à Rabat

By 31 août 2021novembre 9th, 2021No Comments

Par Zakaria BELABBES

 

Rabat – Balguissa, Destin, Emefa…Trois femmes migrantes subsahariennes résidentes au Maroc, dont les destins s’entrecroisent, exercent une activité ambulante sur la voie publique à Bab El Had, une célèbre place ancestrale de Rabat.

Quand on parle du 8 mars, on évoque cette journée internationale devenue un rituel social, qui valorise des “femmes exceptionnelles”, par leur parcours exemplaire, contribuant à améliorer la société. Ces trois femmes subsahariennes n’en comptent pas moins, par leur long chemin de migration risqué et semé d’embûches et leur combat quotidien pour réussir dans la vie.

“J’ai traversé un long chemin pour arriver au Maroc, et je considère que ce n’est le début de mon rêve”, confie Balguissa à la MAP, surnommée “Orange” pour ses cheveux roux nattés, une Burkinabée spécialiste de la préparation de tresses africaines et des ongles manucurés ou laqués de différentes couleurs possibles.

“Le Maroc m’a ouvert ses portes pour me donner une deuxième chance de vie meilleure”, poursuit-elle avec satisfaction, notant que sa vie a été dure dans son village natal, ce qui l’a poussé à quitter son pays .

“Parfois je me sens seule comme une exilée, ma famille et mes amis du pays me manquent, mais je suis déterminée à réaliser pas à pas mes ambitions avant de revenir dans mon pays d’origine”, relève “Orange” sur un ton doux-amer.

Destin, quant à elle, vêtue d’une jacket noir et un pantalon vert, avec un visage rond et un foulard sur la tête, sait comme le nom l’indique, qu’elle “écrit son destin avec ses mains” en venant du Sénégal pour “vivre convenablement et non survivre”.

Le choix d’immigrer n’était pas facile mais j’étais obligée de foncer afin de fuir la pauvreté et la sécheresse, dont souffre mon village, explique-t-elle.

“J’ai laissé mes deux enfants, ma famille, mes amis, pour tenter ma chance à l’étranger”, lâche avec amertume cette femme sénégalaise qui vend des crèmes d’eczéma et des savons bio.

Pas loin, Emefa, une jeune malienne est assise dans une chaise en plastique et vend des bijoux et des accessoires, un métier qui nécessite un sens aiguisé des relations humaines.

“Il n’est jamais facile de convaincre le client d’acheter mes produits, il faut bien les vante ”, révèle-t-elle d’un air assuré.

Venue avec son mari au Maroc pour tenter l’aventure européenne, Emefa, un beau visage auréolé de cheveux noirs, veut ramasser une bonne somme d’argent pour aller en France, le rêve partagé avec son mari depuis bien longtemps.

Ainsi, un acharnement bien à l’heure pour la plupart de ces migrantes qui rêvent d’avoir de meilleures opportunités professionnelles et un nouveau lieu de vie.

“Depuis déjà quelques décennies, les femmes de certains pays d’Afrique subsaharienne (Mali, Sénégal, Niger, Nigéria, Congo, Burkina, Cameroun, pour l’essentiel) émigrent seules vers l’Europe via le Maghreb”, explique à la MAP Jacques Barou, le directeur de recherche émérite du Centre national de la recherche scientifique en France.

Selon lui, elles savent qu’elles ont plus de chance de trouver un travail que les hommes et qu’elles sont moins contrôlées et plus rarement expulsées.

Cela se fait en accord avec leur famille qui les aide souvent financièrement pour ce voyage, en espérant qu’une fois installées en Europe ou au Maghreb, elles enverront de l’argent au pays, affirme ce chercheur français, ajoutant que depuis que la zone sahélienne est touchée par des violences, le péril s’est ajouté à la pauvreté et c’est une raison supplémentaire de tenter sa chance.

Sous cet éclairage, l’auteur du livre “De l’Afrique à la France. D’une génération à l’autre’’ met en exergue l’espoir de ces femmes d’atteindre un pays un peu plus développé que le leur et surtout fuir l’insécurité qui se répand dans certaines zones touchées aussi bien par l’avancée des groupes terroristes, le banditisme et les violences interethniques.

“À défaut de pouvoir entrer en Europe, elles savent qu’au Maroc elles pourront gagner un peu d’argent et être plus en sécurité que dans leur pays d’origine”, poursuit-il.

Pour cet universitaire, ces femmes migrantes n’ignorent pas les risques inhérents à cette migration. Toutefois, elles préfèrent courir de tels risques plutôt que de végéter chez elles dans la misère.

Par ailleurs, ces femmes migrantes ont des profils différents de celui des femmes marocaines qui ont émigré vers l’Europe dans le passé, relève-t-il, précisant qu’elles sont plus souvent seules, célibataires ou séparées. Elles ne partent pas contre la volonté de leur famille, mais avec son accord.

La dégradation de la sécurité dans leur zone d’origine leur laisse espérer l’obtention de l’asile ou d’une protection de la part d’un pays de l’Union européenne, conclut-il.