-Par Abdelatif ABILKASSEM-.

Rabat – Lors de la soirée de clôture de la 20è édition du Festival international du film de Marrakech, le 2 décembre 2023, à la salle des ministres du Palais des congrès, la jeune réalisatrice Asmae El Moudir a gravi avec assurance les marches du podium pour recevoir le grand prix du festival, après avoir ébloui le jury, puis le monde, avec son talent authentique dans son film “La mère de tous les mensonges”.

Vêtue d’un caftan blanc brodé de fils d’or, la réalisatrice a reçu ce soir-là “l’Étoile d’or” des mains de la présidente du jury, l’actrice américaine oscarisée Jessica Chastain, marquant ainsi une nouvelle étape dans la série d’éloges qu’elle a entamée avec son film avant le festival de Marrakech et qui s’est poursuivie ensuite en remportant des prix dans des festivals internationaux prestigieux.

Dans un entretien accordé à la MAP, à l’occasion de la Journée Internationale de la Femme, cette Slaouie de 33 ans a révélé les secrets de son parcours cinématographique qui lui ont valu plus de vingt prix tant nationaux qu’internationaux, évoquant un “beau rêve” qui l’habitait depuis son enfance, jouant avec une caméra à usage unique, et qui se réalise aujourd’hui, celui d’avoir une place dans le monde du cinéma auquel elle a accédé par la grande porte.

“Je n’avais pas d’archives photographiques de mon enfance, et ce qui m’a poussé à entrer dans le monde du cinéma était l’absence de ces images dans mon enfance”, déclare la réalisatrice, ajoutant : “C’est pourquoi j’ai toujours cherché un moyen de raconter les histoires que je vivais. Si j’étais écrivaine, j’aurais écrit un roman, si j’étais artiste, j’aurais peint des tableaux, mais la méthode qui m’a le plus convenu était l’écriture avec la lumière. C’est le cinéma.”

Cette passion pour l’image et l’écriture avec la lumière ont nécessité une formation solide dans ce domaine. La réalisatrice a donc poursuivi ses études universitaires dans des institutions nationales et étrangères, notamment à la Fémis (École nationale supérieure des métiers de l’image et du son) à Paris, et à l’Institut spécialisé du cinéma et de l’audiovisuel (ISCA).

Elle a accumulé divers diplômes, dont un master de l’Institut supérieur de l’information et de la communication (ISIC) à Rabat, et une licence en cinéma documentaire de l’Université Abdelmalek Essaâdi de Tétouan.

Sur le plan professionnel, elle a réalisé des documentaires pour de nombreuses chaînes nationales et internationales. Après plusieurs courts-métrages, elle a réalisé en 2020 le film “Dans le coin de ma mère”, sélectionné pour participer au Festival international du film documentaire d’Amsterdam et au Festival international du film de Marrakech.

En 2023, Asmae a réalisé son film “La mère de tous les mensonges” qui a ébloui le monde.

Le film raconte l’histoire de la jeune cinéaste Asmae, qui rend visite à ses parents à Casablanca pour les aider à déménager. Une fois chez elle, Asmae commence à trier les vieilles affaires de son enfance. Tout à coup, elle tombe sur une photo qui devient le point de départ d’une investigation durant laquelle Asmae s’interroge sur tous les petits mensonges que lui racontait sa famille. Au fur et à mesure, Asmae explore la mémoire de son quartier et de son pays.

Asmae est fière du succès de “La mère de tous les mensonges” à travers le monde. “Ce qui est arrivé avec +La mère de tous les mensonges+ est vraiment magnifique. C’est magnifique pour le cinéma marocain”, dit Asmae citant avec une grande fierté les récompenses remportées par le film, ayant totalisé dix-sept prix dont le plus important est le prestigieux prix de la mise en scène dans la sélection “Un certain regard” du Festival de Cannes, et l’Étoile d’or au Festival du film de Marrakech.

La plus grande fierté d’Asmae est l’accueil chaleureux que son film a reçu dans son propre pays, le Maroc. “La première projection du film dans les salles de cinéma était incroyable”, indique-t-elle, ajoutant avec émotion : “Voir les salles pleines à Tanger, Casablanca, Meknès et ailleurs, attirant 750 spectateurs à chaque projection, et entendre les applaudissements des femmes à la fin de la projection vous fait sentir que la vie est revenue aux salles obscures et signifie que le film touche le public.”

Pour elle, ce succès est dû à de nombreuses personnes, des institutions, des professionnels et des individus qui l’ont soutenue. Elle ne veut pas en nommer certains pour ne pas en oublier d’autres, mais elle tient à souligner le rôle crucial du Festival international du film de Marrakech et du programme industrie et développement de talents «Les Ateliers de l’Atlas», initié par ce dernier pour soutenir une nouvelle génération de jeunes du Maroc, du monde arabe et d’Afrique.

“Ce programme m’a soutenue dans la phase de développement et dans la phase de post-production. C’était l’endroit idéal pour moi. Il a ramené des professionnels du monde entier pour nous montrer comment mettre nos films sur la bonne voie et les faire parvenir au monde”, dit Asmae sur un ton de gratitude.

C’est la même tonalité de gratitude qui a marqué son allocution lors de la cérémonie de clôture du Festival de Marrakech, lorsqu’elle a exprimé ses sincères remerciements à Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour les initiatives lancées par le Souverain dans ce domaine citant notamment la mise en place de la Fondation du Festival international du film de Marrakech et les Ateliers de l’Atlas. La réalisatrice avait dédié son exploit à SM le Roi.

Asmae a sa propre vision pour le développement de l’industrie cinématographique au Maroc et pour profiter des revenus énormes que le Royaume peut en récolter. Ce qui est nécessaire, c’est d’atteindre un stade où nous parlons de la production d’un cinéma marocain qui réalise des revenus importants, et qui est présentée dans de grands festivals et qui remporte des prix dans des festivals de renommée, tout simplement “parce que le cinéma marocain le mérite”.

Elle reconnaît qu’« il y a de grands efforts et un soutien important provenant des autorités marocaines pour le cinéma et nous devons en récolter les fruits ». “Nous avons besoin d’un système de production et d’accompagnement des stars (Stat System). Il est nécessaire d’œuvrer au renforcement de la culture cinématographique au sein du Royaume et de l’intégrer dans les programmes éducatifs. Nous devons souligner son rôle dans l’ouverture des esprits, en tant que miroir de la société, ainsi que son importance dans le divertissement, qui est également crucial”, insiste le jeune réalisatrice.

“Je suis désolée lorsque quelqu’un m’envoie un message disant qu’il n’y a pas de cinéma dans ma ville. Comment puis-je voir vos films ?”, poursuit-elle, mettant toutefois l’accent sur les efforts déployés pour projeter le film dans les universités et les écoles, « même si le lieu naturel pour regarder des films est le cinéma”.

Elle souligne également l’importance pour le ministère (de la Culture) de tenir sa promesse d’ouvrir des salles de cinéma.

Pour Asmaa, il n’y a pas d’obstacles pour les femmes réalisatrices par rapport aux hommes. “La mise en scène est un métier difficile pour tout le monde, et l’importance du travail réside dans la qualité, pas dans la quantité. Si une femme propose une bonne idée de film et un bon scénario, elle obtient du soutien”, affirme-t-elle en citant le cas des réalisatrices marocaines telles que Farida Belyazid, Leila Marrakchi, et d’autres qui ont marqué la scène cinématographique marocaine. Pour étayer ses dires, elle cite aussi son propre succès au Festival international du film de Marrakech.

Asmae a plusieurs passe-temps qu’elle pratique pendant son temps libre. “J’aime regarder des matches de football. J’ai suivi le parcours de l’équipe nationale lors de la Coupe du Monde au Qatar. J’étais là-bas, soutenant et chantant avec les Marocains (Sir… Sir… Sir). J’aime aussi faire du sport. J’aime courir, jouer au tennis et j’adore l’équitation. Les chevaux vous donnent de la force rien qu’en les regardant”, indique-t-elle.

Asmae n’a pas de formule magique à offrir aux jeunes talents qui veulent entrer dans le monde du cinéma. Les éléments qu’elle recommande sont simples et profonds à la fois : “Je leur conseille de regarder beaucoup de films et de lire des livres, et avant tout cela, il est nécessaire d’avoir la passion, car sans cela, il n’y a pas besoin d’entrer dans ce domaine”.

Quant à ses projets artistiques futurs, elle dit qu’elle participe actuellement à une résidence artistique pour le Festival de Cannes. Elle aime prendre son temps pour développer ses idées.

A une question sur le conseil qu’elle peut donner aux jeunes de sexe féminin à l’occasion de leur journée internationale, elle réponde: “Battez-vous pour ce que vous aimez, relevez-vous chaque fois que vous tombez, et soyez fortes”.

C’est avec la même détermination que la jeune réalisatrice s’arrête sur un message adressé à ses followers en racontant son histoire avec l’Oscar pour lequel son film avait été inscrit sur la shortlist dans la catégorie du Meilleur Film Étranger, mais n’avait pas atteint la finale.”Merci à tous pour vos encouragements. Moi et ma merveilleuse équipe avons apprécié et avons fait le voyage (le voyage aux Oscars). Parfois, certaines excursions s’arrêtent, mais le rêve continue”, dit-elle dans son message.