Agboville – Ruth Gbagbi, une athlète exceptionnelle et fière représentante de l’équipe nationale ivoirienne de taekwondo, est une force dominante dans son domaine. En tant que double championne du monde et double médaillée olympique, elle a hissé le drapeau de la Côte d’Ivoire au sommet de la scène sportive mondiale. Avec six titres de championne d’Afrique à son actif et une victoire au prestigieux Grand Slam, Ruth Gbagbi ne cesse de repousser ses limites pour la gloire de son pays. Dans une récente interview accordée à l’AIP via internet depuis l’Espagne où elle réside, Ruth Gbagbi a lancé un appel aux mécènes, aux partenaires pour sponsoriser les athlètes du taekwondo pour les Jeux olympique de Paris 2024. Elle sollicite également un appui pour la Fédération ivoirienne de taekwondo pour mieux accompagner les athlètes. Entretien.

AIP : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans le taekwondo ?

Ruth Gbagbi : Au départ, je jouais au football. À l’époque, j’accompagnais deux de mes cousins qui avaient commencé le taekwondo et j’ai voulu essayer. Comme j’aimais beaucoup les combats de rue dans mon quartier, ma mère m’a également inscrite au taekwondo, étant donné que c’est un sport de combat. J’avais neuf ans à l’époque. J’ai rejoint l’équipe nationale sénior et junior en même temps à l’âge de 15 ans. Aujourd’hui, j’ai beaucoup appris grâce au taekwondo.

AIP : À quelles compétitions avez-vous décroché votre première médaille ?

Ruth Gbagbi : Ma toute première médaille, je l’ai remportée lors d’une rencontre amicale entre mon club, La Source, et un autre club appelé Les Sept Nains. Comment ai-je obtenu cette médaille ? Ce jour-là, il n’y avait plus de fille disponible pour combattre contre moi, alors j’ai finalement combattu contre un garçon. Avant le combat, mon maître Mezi Georges, connaissant mes capacités, a dit à l’autre maître des Sept Nains qu’il avait confiance en moi et pensait que je pouvais affronter le garçon. Il lui a répondu : « Mon élève est le plus fort de son club, donc il ne peut pas combattre contre une fille ». Finalement, ils ont décidé de nous faire combattre ensemble, puisque c’était un match amical. Lorsque le combat a commencé, au premier round, le garçon essayait de m’intimider en criant et en faisant des kiaps. Mais moi, j’étais calme et j’ai adopté une position de combat. J’ai commencé à prendre l’ascendant. Au deuxième round, il kiapait moins, et au troisième round, le garçon a fini par pleurer. C’est ainsi que j’ai remporté ma toute première médaille. Je crois que c’était à Marcory. J’avais entre neuf et dix ans.

AIP : Comment vous préparez-vous physiquement et mentalement pour les compétitions ?

Ruth Gbabi : C’est une excellente question, et la préparation physique et mentale est cruciale. Pour ma préparation physique, je travaille avec un préparateur physique qui se concentre sur mon cardio, mon endurance, ma souplesse et le renforcement musculaire. En ce qui concerne la préparation mentale, je suis reconnaissante de pouvoir dire que je suis mentalement stable. Je n’ai pas de psychologue ou de préparateur mental, mais je parviens à canaliser mes énergies et à me concentrer sur mes objectifs pendant les compétitions. Mon bon entourage joue également un rôle essentiel pour maintenir ma stabilité mentale.

AIP : Quel est votre objectif pour les Jeux olympiques de Paris 2024 en cas de qualification ?

Ruth Gbabi : L’objectif premier c’est la qualification, dont les résultats seront connus d’ici décembre. Je vous explique: Au niveau mondial, les six premiers de chaque catégorie seront automatiquement qualifiés. Au niveau continental, une compétition est prévue en 2024, et les deux premiers seront sélectionnés. Comprenez donc que l’objectif c’est d’être parmi les élus, à partir de là on travaillera pour les victoires avec le concours de Dieu bien sûr.

AIP : Pensez-vous être prête à relever le défi ?

Ruth Gbabi : Comme je l’ai dit, je ferai ma part. Je vais continuer à m’entraîner à 100%, pour être au mieux de ma forme, mentalement, physiquement et tactiquement avec mes entraîneurs et mon médecin. J’essaierai de travailler sans relâche pour être prête et Dieu fera le reste.

Je profite de votre lucarne pour appeler l’ensemble de mes concitoyens à être à mes côtés pendant ces épreuves. Leur soutien m’est indispensable, leurs prières constituent pour moi une force inimaginable. C’est aussi l’occasion pour moi pour lancer un appel aux mécènes et partenaires. Les jeux olympiques c’est un gros challenge et l’appui de sponsors peut être bénéfique pour nous et nous permettre, mon équipe et moi, d’atteindre des sommets. Peuple de Côte d’Ivoire, bats toi à mes côtés pour que nous remportions encore ces médailles qui nous font tant de bien. On se délecte plus d’une victoire qu’on acquiert dans un effort conjugué. Aidons nous à gagner ensemble!

La Fédération ivoirienne de taekwondo qui fait déjà beaucoup pour nous a aussi besoin de soutien pour mieux accompagner les athlètes ivoiriens. Ma prière est que l’Etat regarde un peu de ce côté et pourquoi pas aussi les sponsors. Avec nos performances, vous aurez forcément une visibilité insigne. Nous nous y engageons.

AIP : Les combats pendant les compétitions sont-ils tous les mêmes ? Y a-t-il des adversaires qui vous ont particulièrement marqué ?

Ruth Gbabi : Chaque compétition est différente, et l’Open d’Espagne de cette année ne ressemblera pas à celui de l’année prochaine. Chaque compétition a son propre caractère et nous apprenons quelque chose à chaque fois. En ce qui concerne les adversaires qui m’ont marqué, il n’y en a pas vraiment dans ma catégorie. Cependant, dans le monde du taekwondo en général, il y a des combattantes qui m’ont laissé une forte impression, comme Bah Mariam, une ivoirienne qui est la première athlète féminine à participer à des compétitions en Côte d’Ivoire.

AIP : Quel a été le moment le plus difficile de votre parcours dans le taekwondo et comment l’avez-vous surmonté ?

Ruth Gbabi : Même récemment, lors du championnat du monde en Azerbaïdjan où j’ai remporté la médaille de bronze. J’étais de retour après deux mois de blessure. J’étais en Slovénie fin février pour une compétition où j’ai obtenu la médaille d’or. Après la demi-finale en Slovénie, je me suis blessée au genou et je devais disputer la finale contre le Nigeria. Je me suis posée la question : devrais-je faire la finale malgré ma blessure ? Finalement, j’ai décidé de la disputer, j’ai géré ma blessure et j’ai remporté la finale. Arrivée en Espagne, j’ai passé des examens qui ont révélé que j’étais blessée et que j’avais besoin de repos total, car je ne pouvais même pas marcher. Ce n’est que deux semaines avant le championnat du monde que j’ai pu reprendre réellement l’entraînement. Je travaillais même à moins de 70% de mes capacités pour ménager mon corps. J’ai participé au championnat du monde, j’ai donné tout ce que j’avais et grâce à Dieu, j’ai remporté la médaille de bronze. Cela a été une période difficile pour moi.
Ruth Gbagbi veut transmettre aux plus jeunes ce que le taekwondo lui a apporté

AIP : Qu’est-ce qui vous motive à continuer, à vous entraîner et à vous améliorer dans le taekwondo ?

Ruth Gbabi : Aujourd’hui, le taekwondo, j’y ai consacré ma vie. Entièrement. Je pense qu’une mission m’a été confiée, peut être par le Très Haut, je m’emploie donc à la réussir. Je sens en mon for intérieur que je peux encore beaucoup apporter au taekwondo ivoirien et peut être même africain. C’est ce challenge qui me motive. Voilà d’où vient mon inspiration.

Apres chaque combat que je remporte, après chaque médaille que je gagne, je suis envahie par une fierté indicible, une joie indescriptible. Cela parce que je me sais soutenue par les Ivoiriens et même par les Africains qui se reconnaissent en moi.

Aujourd’hui, non seulement je veux honorer la Côte d’Ivoire, mais aussi toute l’Afrique entière. Pendant que je vous parle, je me souviens de ma première sortie internationale en 2009, lors du championnat d’Afrique où grâce à Dieu j’ai remporté une médaille d’argent. À notre retour à Abidjan, le ministre des Sports nous a accueillis et nous avons par la suite bénéficié de primes. Vous savez moi je viens de Koumassi, et croyez moi cela m’a motivée davantage. Grâce à Dieu et le travail, j’ai continué à remporter des médailles pour mon pays, en ayant à l’esprit qu’il y a une récompense au bout de chaque performance.

Après les Jeux olympiques de Rio en 2016, nous avons également été récompensés. Le président de la République, Alassane Ouattara et la Première dame, Dominique Ouattara nous ont reçus et cela m’a encore plus boostée. Je leur dis infiniment merci. Je leur suis éternellement reconnaissante. Pour eux, pour ma famille et pour mon pays, je m’emploierai a toujours faire rayonner le drapeau Orange-Blanc-Vert à l’international.

En 2017, j’ai décroché la médaille d’Or au championnat du monde à Muju, en Corée devenant ainsi la première championne du monde de l’histoire de la côte d’Ivoire tous sports confondus. Et la seule femme championne du monde de l’Afrique au taekwondo. En 2021, lors des Jeux Olympiques de Tokyo, j’ai décroché la seule médaille de la délégation Ivoirienne. Une fierté. Devenant la première ivoirienne à décrocher consécutivement deux médailles olympiques, et la seule médaille de l’Afrique francophone lors de ces jeux. En 2021, j’ai aussi décroché la médaille d’Or au championnat du monde féminin à Ryad, en Arabie Saoudite. Devenant également la seule femme championne du monde de toute l’Afrique au Taekwondo.

Étant donné que le Taekwondo n’est pas un sport de masse, c’est un plaisir et un bonheur infini que cela nous procure d’être récompensés, d’être honorés autant par nos autorités sportives que par nos autorités gouvernementales. Toutes ces médailles que j’ai obtenues, c’est à la Côte d’Ivoire que je les dois, c’est pour la Côte d’Ivoire que je les ai gagnées. J’aime tellement mon pays que je rêve avant chacun de mes combats, que retentisse l’Abidjanaise lors du classement final et de la remise des médailles. En plus de cela lorsque notre mérite est reconnu par nos gouvernants, il n’y a rien de plus exaltant. Rien de plus motivant.

Beaucoup nous considèrent à ce jour comme des modèles pour les plus jeunes. Chaque prix glané, chaque trophée remporté et chaque médaille qui s’ajoute à notre palmarès est un objet de satisfaction non seulement mais surtout de motivation pour la poursuite de leurs rêves.

AIP : Pouvez-vous nous raconter une anecdote ou un moment mémorable lors d’une compétition de taekwondo ?

Ruth Gbabi : Il y a eu des moments de tristesse, de douleur et de joie tout au long de ma carrière. J’aimerais partager un moment de joie en particulier. C’était lors du championnat du monde en 2017, en Corée. Avant cette compétition, j’avais participé à quatre championnats du monde et j’étais toujours éliminée au premier tour. Je savais que j’avais le potentiel pour devenir championne du monde, mais je ne comprenais pas pourquoi je n’y parvenais pas. Malgré cela, je continuais à travailler dur. En 2017, lors de ce championnat du monde, j’ai enchaîné de magnifiques combats. Grâce à Dieu, j’ai remporté le titre de championne du monde, et j’ai pu hisser le drapeau ivoirien au niveau mondial.

AIP : Que ressentez-vous lorsque vous êtes sur le tatami de combat ?

Ruth Gbabi : À la base, je suis sereine. Lorsque je suis sur le tatami, je sais simplement que je suis en mission et que je dois accomplir ma mission. Je n’ai rien d’autre en tête. Je me sens bien, je me sens normale, car j’ai travaillé toute l’année pour cette compétition, pour cet événement. Mentalement, je suis stable. Je ne suis pas excitée, je reste concentrée sur le combat que je dois mener.

AIP : Vous parvenez donc à gérer la pression et le stress avant et pendant les compétitions ?

Ruth Gbabi : En réalité, je suis une personne calme, je n’ai pas peur. Parfois, je suis tellement peu stressée que cela me stresse en quelque sorte. Il faut cependant trouver le juste équilibre. Il ne faut pas trop se prendre la tête, ne pas minimiser trop l’adversaire. Il faut être dans le juste milieu pour bien faire les choses pendant le combat.

AIP : Avez-vous des projets pour le développement du taekwondo en Côte d’Ivoire, à l’image du football ?

Ruth Gbabi : Oui, j’ai des projets pour le sport en général. Je travaille actuellement dessus avec une bonne équipe qui m’accompagne. Quand le moment sera venu, je partagerai ces informations afin que vous puissiez les relayer. Je ne pense pas seulement qu’au taekwondo, mais aussi au sport ivoirien dans son ensemble, ainsi qu’au sport féminin. Je veux faire la promotion de mon sport, le taekwondo surtout la promotion de la gente féminine, encourager les femmes à pratiquer les sports de combat, à faire une carrière sportive également dans les différents sports. Nous devons soutenir les athlètes féminines de haut niveau pour qu’elles puissent porter haut les couleurs de la Côte d’Ivoire, à l’instar de Ta Lou. Nous devons encourager d’autres générations de femmes dans tous les sports pour qu’elles puissent faire briller le drapeau ivoirien. Ce que le taekwondo m’a apporté, je veux le transmettre aux plus jeunes. En gros, c’est mon objectif dans ce sport.

AIP : Pensez-vous avoir inspiré ou motivé d’autres jeunes Ivoiriens à s’intéresser au taekwondo ?

Ruth Gbabi : Oui, je pense qu’après nos médailles olympiques en 2016 à Rio au Brésil, Cissé Cheick et moi avons motivé de nombreuses personnes à pratiquer le taekwondo. Aujourd’hui, je ne connais pas le nombre exact, mais il y a beaucoup plus de licenciés au taekwondo et les clubs se remplissent à chaque fois. De nouveaux clubs voient le jour à Abidjan et dans tout le pays. Je pense que nous avons inspiré une génération à s’investir dans la pratique du taekwondo.

AIP : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes athlètes qui se lancent dans le taekwondo ?

Ruth Gbabi : Je leur dirais que le taekwondo est une discipline noble qui nous apporte énormément. C’est un sport qui développe nos capacités physiques, mentales et intellectuelles, ainsi que notre souplesse. Pour réussir, il est nécessaire d’avoir de l’intelligence pour comprendre les mouvements et les stratégies de combat. Pour moi, le taekwondo est un sport complet. Il englobe les aspects du combat, des enchaînements techniques et le côté mental. Aujourd’hui, il est possible de faire une carrière internationale en taekwondo, tout comme en football. Certes, le taekwondo n’est pas aussi rentable que le football, mais on peut devenir champion et intégrer l’équipe nationale. Je pense que les nouveaux pratiquants peuvent également trouver leur voie dans le taekwondo.

AIP : En tant que présidente des athlètes de l’Union africaine de taekwondo depuis janvier 2023, quels sont vos projets pour cette organisation ?

Ruth Gbabi : Nous sommes en discussion avec le vice-président de l’Union africaine, ainsi qu’un autre membre en Égypte et moi-même. Nous étudions les actions que nous pouvons mettre en place. Cela prend du temps car, depuis ma nomination, il a été difficile de nous réunir pour nous expliquer notre rôle en tant qu’athlètes. En tant que compétitrices, nous continuons à nous entraîner, et il a été compliqué de trouver un moment propice pour nous réunir. Nous sommes en train de prévoir quelque chose pour les athlètes d’ici la fin de l’année.