Niamey – Au Niger, des filles souvent mineures, issues des familles précarisées ou du milieu rural, certaines venant de la sous-région offrent leur service comme domestiques dans les familles ou aides dans diverses activités et ce le plus souvent en violation des textes et des droits humains.
Recrutement au noir, mépris des textes sur le travail- conditions rémunération, horaire de travail, repos-, violences physiques, sexuelles, psychiques, violations des droits, abus de toutes sortes sont le lot quotidien de ces ‘’forçats’’ de notre temps.
Le cas de Habsou (pseudonyme), 14 ans, venue d’une localité de Zinder et recrutée à Niamey comme nounou en raison de 10.000 francs CFA en dit long sur le sort de ces domestiques corvéables pour une poignée de riz.
En plus de la garde du bébé, cette adolescente privée de l’école et du milieu familial est commise pour toutes les tâches ménagères de la famille, à savoir les courses quotidiennes, la lessive pour le bébé et les parents, la vaisselle,etc.
Lève-tôt, elle est aussi couchée tard et soumise très souvent aux furies de sa ‘’patronne’’ qui la bat» selon ses humeurs, selon des témoignages.
Mme Gogé Maimouna Gazibo, magistrate, ancienne directrice générale de l’agence nationale de lutte contre la traite des personnes et le trafic illicite des migrants (ANLP/TIM) documente le cas des nombreux abus similaires :
« Je me souviens d’un cas qui nous a été signalé au niveau de konni où une petite fille de 11 ans qui avait été louée par ses parents à une restauratrice. Cette femme enchainait la fille à la fin de chaque journée de travail. L’enfant dort enchainé et tant qu’elle ne travaillait pas, elle restait toujours enchainée. Et c’est une descente de la police de konni qui a permis de détacher l’enfant et nous avons mis en place une procédure pour identifier les parents de la victime et finalement on l’a rapatriée ».
Tout comme les filles issues des localités nigériennes, celles venant des pays étrangers n’échappent pas à ces abus qui prennent davantage de relief avec des réseaux d’intermédiaires et autres traités.
La commissaire Zouera Hassan Haousseizé, cheffe de la protection des mineures et des femmes au sein de la direction générale de la police nationale, rapporte plusieurs cas d’exploitation économiques, de traite des filles mineures, et bien d’abus sous couvert du travail domestique.
La fonctionnaire de police relate la situation d’une fillette togolaise dont le salaire est détourné par un intermédiaire, privant la travailleuse des ses droits. « Le salaire revient normalement à la personne qui travaille. Nos investigations nous ont permis de savoir que le monsieur en question continue d’héberger plusieurs autres filles dans une maison sans aucune autorisation. Nous avons poursuivi toutes les personnes impliquées dans cette affaire pour traite d’enfant », fait savoir la haute gradée de la police, selon qui ceci est « une pire forme d’exploitation économique d’un enfant ».
Dans certains cas, les filles à qui on faisait miroiter des emplois à domicile bien payés sont livrées aux réseaux de prostitution, selon les constatations de la police Nationale.
Le plus souvent, ces filles abusées au propre comme au figuré ne recoivent aucun franc de leurs activités.
Ce sont les proxénètes qui bénéficient du fruit illicite en contrepartie, elles sont juste logées et nourries, fait savoir la commissaire Haousseizé.
Un crime transfrontalier
Le phénomène se nourrit de la pauvreté et de l’ignorance.
Des parents véreux attendent que leurs enfants aient un certain âge pour les envoyer travailler et subvenir aux besoins de la famille, en les remettant à des passeurs. Une fois dans le pays d’accueil, des recruteurs récupèrent ces filles des mains des passeurs pour les acheminer dans des maisons servant de transit. Ces recruteurs ou intermédiaires enregistrent des demandes des familles d’accueil et procèdent aux placements des filles comme domestiques », documente la police nationale.
Selon Mme Gogé Maimouna Gazibo, magistrate « C’est un fléau national et international ».
« Le fléau touche tous les pays, toutes les ethnies, toutes les régions et toutes les localités », mentionne-t-elle.
Sidikou Moussa, coordinateur de l’ONG école-parrainage et actions de développement (EPAD- Niger) assure que son organisation qu’il qualifie de pionnière dans le cadre de la lutte contre la traite transfrontalière des femmes et des enfants, a appréhendé cette situation depuis une dizaine d’année.
Il précise des représentants des réseaux de trafic des filles mineurs et adolescents destinées aux travaux domestiques se sont implantés à Niamey dans des quartiers, comme Wadata et Yantala.
Selon lui, ces personnes sont en interconnexion avec d’autres personnes basées au Benin et du Togo.
Dans ces quartiers de Niamey « vous allez trouver des familles d’accueil qui hébergent parfois une dizaine et une quinzaine de jeunes filles et elles sont placées dans des familles comme domestiques et à la fin du mois les revenus sont reversés au chef du réseau. C’est des pratiques qui sont en cours actuellement et ils en tirent profits. C’est ça la traite des personnes », témoigne le responsable d’EPAD Niger.
La répression par la loi nigérienne
Selon l’organisation internationale du travail, le travail des enfants regroupe l’ensemble des activités qui privent les enfants de leur enfance, de leur potentiel et de leur dignité, et nuisent à leur scolarité, santé, développement physique et mental.
Au Niger, le travail des enfants est considéré comme une violation de leurs droits fondamentaux.
Le code de travail en son article 106 dispose : « les enfants ne peuvent être employés dans une entreprise, même comme apprentis, avant l’âge de 14 ans sauf dérogation édictée par décret pris en conseil des ministres après avis de la commission consultative du travail et de l’emploi, compte tenu des circonstances locales et des taches qui peuvent leur être demandées.
Un décret fixe la nature des travaux et les catégories d’entreprise interdites aux jeunes gens et l’âge limite auquel s’applique l’interdiction.
L’article 107 du même code poursuit en ces termes « Les enfants âgés de 14 ans révolus peuvent effectuer des travaux légers. L’employeur est tenu d’adresser une déclaration préalable à l’inspecteur du travail du ressort qui dispose d’un délai de 8 jours pour lui notifier son accord ou son désaccord éventuels.
« En tout état de cause, sont interdites les pires formes de travail des enfants (…). Le fait de soumettre un enfant à des pires formes de travail est sanctionné conformément audit Code», peut-on lire dans le document.
« A travers ces dispositions, on peut comprendre que d’une part les enfants de moins de 14 ans ne peuvent être employés même comme apprentis. D’autre part, les enfants âgés de 14 ans peuvent effectuer des travaux légers (quelques heures par jour, en dehors des heures de classe, et des tâches appropriées à leur âge) », analyse la commissaire Haousseizé, soutenant que « Les enfants sont des êtres fragiles et sensibles qui doivent bénéficier d’une attention particulière en vue de garantir leur éducation mais malheureusement ce sont ces personnes adultes qui doivent veiller à leur bien-être qui se permettent de les exposer en les exploitants à leur profit. C’est un acte injuste et condamnable ».
Si ces pratiques sont devenues monnaie courante, il n’en demeure pas moins que la loi nigérienne les prohibe.
En effet, le Niger a adopté tout un arsenal juridique pour lutter contre le travail forcé des enfants, ainsi leur exploitation économique et sexuelle.
« Le Niger a ratifié toutes les conventions qui protègent les enfants. Il n’y a pas une seule convention en matière de protection des enfants que le Niger n’a pas ratifiée », renseigne la juriste de carrière internationale, Mme Gogé Maimouna Gazibo.
Plus précisément, poursuit-elle, « dans le contexte national, c’est l’ordonnance 2010-086 du 16 décembre 2010 relative à la lutte contre la traite des personnes et la loi 2015-36 du 26 Mai 2015 qui, quand on les combine, prennent en charge tout ce qui est exploitation des enfants, migrations irrégulières des enfants, la traite des enfants ».
« Ces lois disent que chaque fois que la victime d’un travail forcé, la victime de traite est un enfant, cela constitue une circonstance aggravante », fait relever la juge notant que le fait d’accueillir l’enfant, le transporter, l’héberger, l’utiliser ou l’employer est une infraction.
« C’est clair que c’est une infraction », explicite-t-elle, expliquant que l’auteur « peut prendre jusqu’à 9 ans de prison ».
Prises en charges de victimes
« Lorsque les services d’enquêtes sont saisis, une prise en charge holistique peut être envisagée (sécuritaire, judiciaire, médical et psychosocial). Ces prises en charge sont faites en synergie d’action entre les structures étatiques et les autres acteurs de protection de l’enfant au Niger », rassure la police nationale.
« la Police Nationale dispose des services spéciaux de Protection des Mineurs et des Femmes pour apporter son assistance aux victimes d’exploitations. A ce niveau, des enquêtes et recherches sont diligentées pour des retours en famille », note-t-on.
« Le Niger ne disposant de structures spécifiques pour la prise en charge, les services étatiques s’arrangent souvent avec les partenaires techniques et financiers pour faire l’indentification des parents de la victime pour l’intégrer dans sa famille, que ce soit au Niger ou à l’étranger », fait observer de son côté, Mme Gogé Maimouna Gazibo.