Par Rachid MAMOUNI

 

Buenos Aires, 04/03/2022 (MAP), “Ana Bidawiya” (je suis casablancaise). C’est avec ces deux mots laconiques, mais très significatifs, que se définit fièrement Chantal El-Harrar. Une casablancaise pur jus qui fait vivre les traditions marocaines festives de chant et de danse en Argentine.

Écrivaine à ses heures perdues, Chantal El-Harrar affirme avec un naturel inné, qu’elle est et reste casablancaise, en dépit des quatre décennies d’expatriation, une vie conjugale épanouie avec deux garçons déjà trentenaires mis au monde en Argentine et une existence répartie entre Casablanca où vivaient ses parents et Buenos Aires.

Née dans les années 60 dans une famille juive de Casablanca, Chantal est la troisième d’une fratrie de cinq enfants (Deux garçons et trois filles).

Elle se rappelle avec beaucoup d’émotion et de nostalgie, la convivialité qui a marqué ses années casablancaises, lorsque les familles musulmanes et juives se partageaient le même immeuble, mais aussi les mêmes valeurs authentiquement marocaines.

« Nous avons été élevés dans les valeurs de la communauté juive marocaine, des valeurs faites d’hospitalité, de gentillesse, de solidarité et de don de soi », se rappelle-t-elle. « Ces valeurs continuent de se refléter dans tout ce que je fais tous les jours », insiste-t-elle.

Elle se rappelle, un nœud à la gorge, des scènes de vie quotidiennes, vécues dans le partage et la solidarité, avec des familles musulmanes, en particulier la famille Benchakroune avec laquelle les liens ne se sont jamais rompus.

Ayant fréquenté l’école hébraïque de Casablanca, Chantal parlait quatre langues (français, anglais, arabe et hébreu). Ses interlocuteurs, avec lesquels elle parle espagnol depuis son installation en Argentine, sont souvent surpris par ce don pour la maîtrise des langues.

Chantal, une « rebelle » dotée d’un sentiment de curiosité et de découverte, explique que culturellement, elle a été « bien préparée à l’ouverture d’esprit. A l’image du Maroc ».

Comme dans presque toutes les familles juives marocaines, la sienne n’a pas dérogé à la règle des départs successifs des enfants, ensuite des parents qui allaient, soit en Israël, soit ils suivaient leurs enfants.

Après le décès des parents, la fratrie El-Harrar vit actuellement partagé entre Paris, Los Angles et Buenos Aires, mais ses liens avec le Maroc sont indéfectibles.

Porté par son esprit de la découverte et de la curiosité, mais aussi par le destin, Chantal a fini par s’installer en Argentine avec son mari, un juif ashkénaze d’origine polonaise, en emportant avec elle les valeurs inculquées par ses parents au Maroc.

Malgré les déchirures de l’éloignement et l’absence des siens, Chantal a réussi à mettre en valeur « ma culture marocaine et mes origines (…) en fait l’histoire de ma vie se résume à cela », dit-elle.

Devenue maman de deux enfants, Chantal se surprenait à transmettre, spontanément, sa culture marocaine à ses enfants qui ont été baignés par les saveurs de la cuisine et les rythmes de la musique marocaine.

Le déclic pour faire connaître les valeurs culturelles marocaines en Argentine s’est produit il y a une quinzaine d’années au gré des rencontres et des discussions avec les familles argentines sur la décoration, la musique, l’artisanat, la gastronomie.

Chantal a vite compris que pour faire perpétuer le savoir-faire et les traditions marocaine, il n’y a pas mieux qu’une fête de mariage à la marocaine qui est un concentré des coutumes qui font l’identité culturelle marocaine.

Grâce à sa persévérance, et avec la complicité de sa compatriote originaire de Tetouan, Esther Benmaman, Chantal a permis à des centaines d’argentins de découvrir, en un seul lieu, la gastronomie, la musique andalouse, les tenues traditionnelles et les coutumes marocaines.

La véritable satisfaction, dit-elle, réside dans « la fascination que je vois dans les yeux des Argentins qui n’ont jamais eu l’occasion d’assister à un mariage marocain et le vivent à Buenos Aires, avec tout l’apparat traditionnel, la musique et les plats concoctés à la marocaine ».

En plus de ces fêtes qui la font replonger dans sa jeunesse à Casablanca, Chantal a inauguré, dans le centre culturel Esefarad de la capitale argentine, un atelier de danse et de musique marocaines qui attire de plus en plus d’adeptes.

S’agissant de son expérience d’écrivaine, Chantal évoque notamment son besoin, en tant qu’artiste, d’exprimer son vécu, son histoire personnelle et son attachement au Maroc à travers l’écriture.

Dans ses textes écrits en espagnol, s’insinuent de manière diluée, ses propres réflexions sur le déracinement et les doutes générés par l’émigration. Une autre façon de perpétuer par l’écrit le legs de ses parents et de la communauté juive marocaine.